Informatique & Logique à Paris 1 (UFR10)
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Notes sur l'intuitionnisme

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Notes sur l'intuitionnisme Empty Notes sur l'intuitionnisme

Message par Aloscla Jeu 13 Déc - 14:04

[message modifié par AO]

Voici mes notes sur l’intuitionnisme, en espérant qu'elles sauront en éclairer quelques uns.


Introduction à l'intuitionnisme
L'intuitionnisme est un courant philosophique initié par L. E. J. Brouwer (et développé par son élève Heyting, étudié par Gödel, Kolmogorov, Gentzen, Kripke et Girard) en réaction à la conception classique platonicienne. Il s'apparente à un kantisme radical et porte sur les mathématiques, leur processus de création, leur évolution dans le temps. La conception platonicienne, ou plutôt platonisante contre laquelle Brouwer s'insurge est celle d'un monde mathématique « parfait », où chaque fait est déterminé, soit vrai, soit faux. En effet, il s'y oppose en ceci : selon lui, lorsqu'on n'a pas accès à la vérité du fait par une preuve, on ne peut pas (encore) dire qu'il est vrai ; il s'oppose à l'ironie socratique, qui tire la validité (de la proposition défendue) des contradictions de ses interlocuteurs : Brouwer rejette donc contre la dichotomie vrai/faux que fonde le principe du tiers-exclu (A ou ¬A), et son équivalent le raisonnement par l'absurde (de la contradiction de ¬A, je tire A). Pour lui, tant qu'on n'a pas établi la "vérité" d'un fait mathématique par la preuve, ce fait n'"existe" pas. Le mathématicien construit des vérités dans l'intuition, dans le temps de la recherche, de la création de concepts.

La logique intuitionniste est donc à mettre en parallèle avec l'informatique : on construit, on établit dans l'intuition la vérité d'un fait mathématique par le biais, le chemin, la méthode que décrit la preuve (méthode vient du grec μετα ́ « vers » et οδος « route, voie, manière de faire quelque chose » : « suivre le chemin »). Il s'oppose donc au tiers-exclu, qui pose A de l'impossibilité de ¬A (et réciproquement).

Pour les classiques, je peux ainsi basculer de ¬A à A si ¬A est contradictoire.

Les logiciens (mathématiciens et philosophes) classiques pourraient parfois affirmer qu'ils croient mais ne voient pas*, quand les intuitionnistes ne croient que ce qu'ils voient. Pour ces derniers, de fait, une vérité classique bien que non directement intuitive, comme :

Il existe un homme tel que, s'il boit, tous les hommes boivent.

(En langage formel : ∃x(Px→ ∀yPy))
ne peut être établie dans l'intuition et doit être refusée. En effet, pour l'établir, les logiciens classiques utilisent le tiers-exclu, le « de deux choses l'une » que le quidam utilise tous les jours. Ils posent : Deux deux choses l'une : soit tout le monde boit, soit il est faux que tout le monde boive (tiers-exclu). Dans le premier cas, considérons n'importe quel homme : il est bien vrai que si lui boit alors tout le monde boit, puisque tout le monde boit ! (une implication dont le conséquent est vrai est toujours vraie) Dans le second cas, on doit trouver un homme qui ne boit pas. Considérons-le. Cet homme, lui, s'il boit, alors tout le monde boit puisqu'il ne boit pas ! (une implication dont l'antécédent est faux est toujours faux) Puisque la proposition est vraie dans les deux cas (cas dont l'un des deux est toujours vrai nous disent les classiques), la proposition est vraie.

L'intuitionniste s'insurge à deux reprises dans cette preuve : au début, lorsqu'il entend « de deux choses l'une » : ça il ne veut pas l'entendre. En effet, un fait non encore prouvé n'est ni vrai ni faux, il est tout simplement non encore décidé, indécidé (pas forcément indécidable, attention...). L'intuitionnisme réinscrit le processus de découverte mathématique dans l'histoire, dans le temps. Ensuite, il s'insurge lorsqu'il entend « on doit trouver un homme qui ne boit pas. Considérons-le. » : Ah, se dit l'intuitionniste, êtes-vous sûr de pouvoir le trouver ? En êtes-vous capable ? Et si nous étions une infinité d'hommes ? Auriez-vous alors le temps, la patience, l'intelligence, le pouvoir de trouver cet homme ? Dans les ensembles infinis d'objets, votre « considérons-le » est présomptueux, du moins audacieux, se dit l'intuitionniste...

Tant que vous nous dites pas, se dit-il encore, comment vous pouvez le trouver, votre objet dont vous concluez hâtivement l'existence, cette existence n'est rien à nos yeux !

Voici donc le coeur de la pensée intuitionniste :

Je ne crois que ce que je vois.
Mais encore faut-il que ce que l'on voit soit croyable, car il est, dans le monde mathématique cher aux platonistes, certaines vérités paradoxales (du grec παρα ́δοξος : « qui heurte la doxa ») à propos desquelles même un génie comme Cantor a pu écrire :

« Je le vois mais ne le crois pas. » (20 juin 1877, Lettre à Dedekind)
Après quoi l'intuitionniste pourra encore préciser :

Je ne crois que ce que je vois... encore faut-il, bien sûr, que ce que je vois soit croyable.
L'intuitionnisme est, nous le voyons, une école d'incrédulité.

* Bien que le voir classique, à force d'entraînement et d'habitude, devient un voir sur les symboles, un voir symbolique, quand, par exemple, le x de « il existe un x » se substitue à [aux] l'objet[s] qu'il désigne...

Aloscla
Invité


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Notes sur l'intuitionnisme Empty Re: Notes sur l'intuitionnisme

Message par AO Jeu 13 Déc - 14:20

Merci Aloscla de nous avoir rédigé vos notes de cours sur l'intuitionnisme. Je viens de les reprendre (attention, il y avait beaucoup d'à-peu-près...). Questions et enrichissements des notes sont les bienvenues.


Dernière édition par AO le Jeu 13 Déc - 21:12, édité 1 fois
AO
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Notes sur l'intuitionnisme Empty Re: Notes sur l'intuitionnisme

Message par Sinclair Jeu 13 Déc - 17:35

J'arrive trop tard et il y a des redites mais, au cas où, voilà mes notes :


Qu’est ce que l’intuitionnisme ?

L’intuitionnisme est une philosophie des mathématiques, née dans les années 1890, sous l’impulsion de Brouwer. L’intuitionnisme est un kantisme radical appliqué aux mathématiques. Il se caractérise par le refus du principe du tiers-exclus et affirme que tant que l’on n’a pas construit la vérité d’un fait, celui-ci n’existe pas. Il s’oppose en cela à la conception platonisante des idéalités mathématiques. Platon considérait que le monde mathématique est parfait : étant donné p, si p porte sur un objet mathématique, p est soit vrai soit faux, indépendamment du fait qu’on puisse le savoir ou non. Le mathématicien est alors perçu un découvreur de vérités. Pour l’intuitionnisme, au contraire, il est un constructeur de vérités.

Pour Brouwer, la philosophie platonisante des mathématiques est anachronique. Les mathématiques, selon lui, ne sont qu’une création humaine. Il se peut donc que des propositions mathématiques ne soient ni vraies ni fausses, puisqu’on ne les connaît pas encore. Tant qu’on n’y a pas accès par une preuve, on ne peut pas dire d’une proposition qu’elle est vraie ou fausse.

Donc si on montre qu’une chose est impossible, on n’a pas montré que l’inverse est vrai pour autant. Tout dépend des axiomes : il peut y avoir de l’indéterminé. Donc A∨¬A n’est pas un théorème. Les affirmations de Socrate selon lesquelles si on a montré qu’il impossible que l’homme ne soit pas libre, alors on a montré qu’il est libre, contiennent donc, dans la perspective intuitionniste, un biais logique grave.

Brouwer remplace en effet la dichotomie vrai/faux (qui suppose qu’on peut passer de la contradiction d’une proposition à l’affirmation de sa négation) par la dichotomie cohérent/contradictoire. Il se trouve que le cohérent est souvent vrai mais il n’y a pas coïncidence entre les deux pour autant.

Un élève de Brouwer, Heyting, a formalisé ces propositions philosophiques en logique. Gödel et Kolmogorov l’ont développé au XXème siècle. Curry, Howard et Gentzen ont montré que la logique intuitionniste et l’informatique sont très proches. Dans la même lignée, Jean-Yves Girard (logicien français, vivant) affirme que la logique intuitionniste est une logique à part entière.

Selon eux, Brouwer a découvert une logique structurellement féconde, qui colle plus au processus de découverte et de compréhension humain (cf. cours sur les différences entre la logique classique et les modes d’argumentation habituels).


Les différences d’interprétations

Comment interpréter A→B ?

Selon la logique classique, on a : (A→B)↔(¬A∨B). Mais, pour Brouwer, ce n’est pas acceptable. En effet, dire « A→B » c’est, selon lui, dire qu’on a une méthode qui transforme une preuve de A en une preuve de B. Dire « ¬A∨B » c’est dire qu’on dispose d’une preuve de ¬A ou d’une preuve de B. Il faut donc avoir au moins une preuve de ¬A ou de B pour affirmer leur disjonction. Or « A→B » affirme qu’on a une méthode de transformation des preuves, pas qu’on a effectivement une preuve de ¬A ou une preuve de B. L’équivalence retenue par la logique classique ne peut donc pas être acceptée.

Comment interpréter A∨¬A ?

Selon Brouwer, l’équivalence A∨¬A n’est pas acceptable non plus. En effet, comme on l’a vu avec l’exemple de Socrate, ou comme on le constate dans le cas des conjectures mathématiques qui ne sont démontrées qu’au fil du temps, avoir une preuve de ¬A n’équivaut pas à avoir un preuve de A, et inversement.

Comment interpréter ¬∀xPx→∃x¬Px ?

En logique classique on peut déduire de ¬∀xPx que ∃x¬Px. Or, selon Brouwer, ce n’est pas parce qu’on a démontré qu’il est impossible que tous soient P, qu’on a exhibé celui qui ne l’est pas. L’intuitionniste ne se permet pas de considérer un individu sans le voir : s’il ne voit, il ne croit pas. A l’inverse, le platoniste croit même s’il ne voit pas. Différemment, quand il a découvert les transfinis, Cantor a écrit à Dedekind : je le vois mais ne le crois pas.

Comment interpréter ¬(A∧B)↔(¬A∨¬B) ?

Pour Brouwer, ¬A∨¬B→¬(A∧B) est acceptable, mais pas l’inverse (comme le suppose le signe d’équivalence) : on peut conclure le négatif du positif mais pas l’inverse.

Un "paradoxe" (au sens intuitif) de la logique classique : ∃x(Px→∀yPy)

Dans la logique classique, on a le point de vue de Dieu : tous les faits sont décidés. Donc, dans cet exemple, on a :

- Ou bien ∀yPy, ou bien ¬∀yPy (par application du principe du tiers-exclu)
- Si on a ∀yPy, le conséquent est vrai, et l’implication aussi
- Si on ¬∀yPy, alors on a ∃y¬Py. Donc, en considérant ce y, l’antécédent est faux, et l’implication vraie.

C’est un résultat contre-intuitif mais conforme aux principes de la logique classique. Pour les intuitionnistes, on ne peut pas déduire une affirmation d’existence du néant de l’incohérence.

Reste A→¬¬A, qui est quand même acceptable selon Brouwer.

Gödel, en 1931, démontre que la perfection d'un "monde" mathématique n'est pas accessible par les méthodes formelles "dédiées à" (i.e. axomatisant) ce monde. Il est platonisant à sa manière : il pense que le monde mathématique est parfait, mais que l’homme ne peut pas totalement y accéder par des méthodes formelles fixées (ce qui rejoint un peu la critique intuitionniste). Gödel montre qu’on peut trouver des vérités auxquelles on ne peut accéder par des axiomes fixés (il faut étendre d’autant, à chaque fois, les axiomes). Il apporte la preuve que dans un système arithmétique, on ne peut pas accéder à toutes les vérités arithmétiques. Le geste intuitionniste a donc eu un caractère "prophétique", annonçant ce décalage. Gödel a aussi montré qu’on pouvait coder la logique classique dans la logique intuitionniste.

Sinclair

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Notes sur l'intuitionnisme Empty Re: Notes sur l'intuitionnisme

Message par AO Jeu 13 Déc - 21:12

Merci Sinclair d'avoir posté vos prises de notes qui sont, à quelques infimes retouches près, excellentes. Elles synthétisent très bien ce que j'ai dit en cours.
AO
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Notes sur l'intuitionnisme Empty Re: Notes sur l'intuitionnisme

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